Habiba (3)

Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2013/08/habiba-1

Village du Maroc

Fayad ne prend pas la peine d’ouvrir la bouche : il ferait beau voir qu’il réponde à une provocation aussi puérilement féminine !

Se penchant en avant, il s’empare de la théière et, la soulevant à bout de bras, emplit son verre de thé à la menthe. Le liquide doré mousse dans le verre et parfume toute la pièce. Fayad ferme à demi les yeux en le portant à ses narines et s’emplit longuement les poumons de l’effluve sucré avant de remettre le contenu du verre dans la théière. Le thé doit voyager ainsi plusieurs fois pour atteindre toute sa plénitude.

Devant lui, la visiteuse ne dit mot. Elle attend. Et quelque chose, dans son attitude, indique à Fayad qu’elle est prête à rester ainsi très longtemps. Le temps qu’il faudra pour qu’il se décide à la regarder et à lui parler.

Autant se débarrasser de l’intruse au plus vite : elle serait capable de lui gâcher son thé !

 

« Vous venez donc pour ma femme…

— Oui, Sidi, répond doucement la jeune femme avec un hochement de tête.

— Et pourquoi venez-vous exactement ?

— Je crois que je dois d’abord me présenter. Je m’appelle Nour. Je suis institutrice. »

Une intellectuelle. Pas étonnant qu’elle se permette de bafouer ainsi la tradition.

« Je travaille avec les enfants, mais je reçois aussi les femmes mariées, lorsqu’il n’y a pas école. Celles qui souhaitent apprendre à lire, principalement.

— Et… Qu’est-ce qui vous dit que ma femme est dans ce cas ? interroge Fayad.

— Rien, reconnaît la jeune femme en inclinant légèrement la tête, mais je me dois de toutes les contacter pour les informer de cette nouvelle possibilité qui leur est donnée.

— Ma femme n’est pas intéressée. »

Le ton de Fayad est sans appel. La jeune femme ne s’avoue pas vaincue pour autant.

« J’aimerais lui parler. Lui expliquer tout ce que le fait de retrouver d’autres femmes pour étudier pourrait lui apporter. »

Cette fois, c’en est trop pour Fayad. Sans même un regard pour la jeune femme, il laisse tomber, glacial :

« Ma femme ne viendra pas. Maintenant, quittez cette maison. »

Nour comprend qu’il ne servirait à rien de s’obstiner. Hochant de nouveau la tête, elle prend congé dans un murmure.

 

Sidi Fayad est contrarié. Habiba, sa jeune épouse, le voit bien : son mari a l’air plus âgé et plus absent que jamais.

Que faire ?

Elle a beau être son épouse, Habiba est très impressionnée par Fayad. Il est tellement plus vieux qu’elle ! Et puis, Sidi Fayad est un sage, tout le monde le sait. Qui est-elle, elle, pour lui poser des questions ? Avant son mariage, elle n’aurait pas même osé le regarder dans les yeux… Mais le silence de son mari lui pèse. La curiosité est la plus forte.

« Quelque chose ne va pas, Sidi ? Tu as l’air préoccupé… Tu as des problèmes au magasin ?

— Non, tout va bien. Je suppose que je suis un peu fatigué. Je ne suis plus si jeune, après tout ! »

Fayad aime bien plaisanter sur son âge. Surtout avec ceux, nombreux, qui sont plus jeunes que lui et lui envient sa nouvelle épouse. D’autant plus qu’ils se sentent invariablement obligés de protester.

« Mais non, Sidi, tu exagères. Tu nous survivras, à tous ! »

À défaut d’espérer survivre à tous, Sidi Fayad consacre toute l’énergie dont il est capable à tenter d’assurer sa postérité. C’est le seul genre de discussion qu’il apprécie avec la gent féminine. Mais il a beau faire : la visite de Nour ne veut pas quitter son esprit.

 

Habiba sent bien que son mari est toujours aussi préoccupé.

« Je sais que tu as eu de la visite en rentrant du magasin… C’est ça qui t’embête ? »

Fayad observe sa jeune épouse en fronçant légèrement les sourcils. Qu’est-ce que cette vieille pie de Fatima a bien pu raconter à sa femme ?

« En effet. Tu sais bien que je n’aime pas être dérangé pendant mon thé, admet-il.

— Je sais. C’est pourquoi je te laisse toujours le savourer en paix. »

Sidi Fayad laisse échapper un grognement de satisfaction. Amina lui a vraiment trouvé la perle rare. Habiba est jeune, jolie, appétissante (Fayad ne se lasse pas du contact de sa peau souple et cuivrée) et obéissante comme aucune autre. Elle est même capable de suivre une conversation sensée.

Le sourire qui se dessine sur ses lèvres encourage Habiba.

« La femme qui est venue te voir, que voulait-elle ?

— Pourquoi cette question ? menace Sidi Fayad.

— Je m’inquiète pour toi. Tu as l’ait tellement préoccupé… Je ne voudrais pas que tu sois malade. »

Fayad sourit de plus belle. Qu’était-il donc allé imaginer ? Sa jeune épouse prend soin de lui, voilà tout !

 

« Aux portes du ciel », les journées passent comme elles ont toujours passé jusque là. Mais Sidi Fayad ne se sent pas très bien. Il s’ennuie, s’agace… Plusieurs mois ont passé depuis son mariage et sa femme n’attend toujours pas d’héritier. Une malédiction pèserait-elle sur lui ?

À suivre

Habiba est l’une des neuf nouvelles qui composent le recueil Circa mortem.
Elle vous plaît ? Achetez le livre sur Kindle et dites aux autres ce que vous en avez pensé 🙂

P.-S. : Circa mortem existe aussi en papier. Achetez-le sur mon site d’auteur.

4 réflexions au sujet de « Habiba (3) »

    1. Bonjour Jean-Philippe,

      C’est à moi de te remercier : venant de l’auteur de La femme sans peur, le compliment me fait d’autant plus plaisir 🙂
      Bonne fin de semaine à toi

      Florence

    1. Bonjour Hélène,

      J’ai l’impression qu’il y a eu un problème avec mes notifications d’article : tu n’es pas la première à ne pas avoir vu passer les deux premiers épisodes…
      En tout cas, merci pour ton retour : ce genre de commentaire donne la pêche 🙂

      Florence

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