Habiba (2)

Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2013/08/habiba-1

Vieille femme marocaine

La nouvelle avait vite fait le tour de la ville : Sidi Fayad cherchait une épouse.

Les entremetteuses ne s’étaient plus senties de joie. Sidi Fayad ! Un parti unique. Celle qui lui trouverait une épouse aurait fortune faite.

Dès lors, la compétition avait été rude. Au hammam, on se surveillait de près. On se mesurait sous toutes les coutures. Sidi Fayad voulait un fils, il n’en avait pas fait mystère. D’ailleurs, quel homme digne de ce nom pourrait ne pas désirer un fils ? La future épouse devait donc être capable de lui donner l’héritier tant espéré.

Les critères de sélection étaient clairs, nets et précis : l’élue serait jeune, en bonne santé, capable d’enfanter (le nombre de ses frères et sœurs et la facilité avec laquelle sa mère les avait mis au monde en attesterait) et issue d’une bonne famille, respectueuse des traditions. Finalement, les prétendantes ne seraient pas si nombreuses.

 

Pendant plusieurs mois, toute la ville s’était passionnée pour les noces à venir. Les discussions allaient bon train, les paris aussi. Jamais on n’avait autant argumenté autour des plateaux de thé ! Partout, le choix de la future femme de Fayad alimentait la polémique.

Partout, sauf « Aux portes du ciel ». Là, au contraire, tout le monde agissait comme si aucun mariage n’était à l’ordre du jour. Fayad, surtout, continuait d’agir comme l’homme sage qu’il était devenu depuis bien longtemps dans l’esprit de tous.

Un soir, pourtant, c’est au magasin que la vieille Amina lui avait rendu visite, alors qu’il fermait boutique.

« Sidi, j’ai une grande nouvelle pour toi !

— Une grande nouvelle, tu dis, Amina ?

— Oui, Sidi. De celles que l’on ne peut annoncer qu’en privé. Tu me fais entrer ? »

Fayad avait hésité une fraction de seconde : il n’aimait pas faire entrer une femme dans son magasin. Mais la vieille Amina était connue comme le loup blanc et sans doute aussi vieille que sa bonne. De plus, elle avait la langue bien pendue, et volontiers aiguisée.

La rue était déserte. Fayad fit entrer la vieille, qui traversa le magasin comme si elle était chez elle. Le temps pour lui de fermer la porte à double tour, elle était déjà assise sur les coussins de l’arrière-boutique. Fayad s’installa en face d’elle et se promit d’attendre qu’elle ouvre la bouche. Mais Amina savait faire désirer ses paroles.

Son sourire entendu, sa tête penchée sur le côté, ses yeux noirs qui le fixaient comme s’il était une chebbakia dégoulinant de miel…

« Alors, cette nouvelle ? »

Amina se pencha vers lui. Ses yeux luisaient dans la pénombre.

« J’ai trouvé ta femme. »

 

Les négociations qui avaient suivi cette déclaration avaient été longues. Certes, lier sa famille à Sidi Fayad était un honneur, mais les parents de la mariée avaient aussi leur fierté. Et leurs biens.

Installée dans une ville voisine depuis plusieurs générations, la famille avait une certaine assise. Et puis, pour Fayad, le mariage n’était jamais qu’une exceptionnelle occasion de marchandage. Plusieurs rencontres avaient donc été nécessaires. À chacune d’elles, la vieille Amina était là. Plus le temps passait, plus elle jubilait. Ce mariage aurait lieu, c’était certain. Sinon, les pourparlers auraient cessé depuis belle lurette.

Maintenant, plus ils duraient, plus sa commission serait importante. Ses vieux jours étaient assurés.

Lorsqu’un accord avait été trouvé, Amina s’était lancée dans une série de youyous suraigus qui avaient résonné dans la ville entière : Sidi Fayad avait trouvé femme.

Les noces avaient été somptueuses, mais sans ostentation. Seuls les nouveaux riches, ceux qui n’ont ni histoire ni éducation, se laissent aller à de grands étalages. Sidi Fayad, lui, était un sage.

 

« Non, Sidi Fayad, je ne connais pas votre femme. »

La visiteuse prend le temps d’esquisser un sourire avant de préciser :

« Pour cela, il faudrait qu’elle sorte de cette maison. »

À suivre

Habiba est l’une des neuf nouvelles qui composent le recueil Circa mortem.
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2 réflexions au sujet de « Habiba (2) »

    1. Bonjour Jean-Philippe,

      Ravie de voir que tu es toujours du voyage. J’espère que celui-ci te plaira 🙂
      À bientôt pour la suite !

      Florence

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