Les 15 derniers jours (20)

Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2012/12/les-15-derniers-jours-1/

Electricité dans l'air

À l’approche de l’amphi, une rumeur sourde se fait entendre. Comme une sorte de grondement. Le bruit de la fin d’un monde ?

De toutes parts, les étudiants convergent. L’amphi B, aujourd’hui, c’est « the place to be » : l’endroit où il faut être. Même les profs ont l’air d’avoir fait le déplacement : Éloïse en reconnaît plusieurs. Éparpillés au milieu des élèves, ils sont reconnaissables à leur air un peu perdu.

« Élo ! »

Cette voix, c’est Jérémy. La jeune fille tourne la tête dans sa direction et se retrouve nez à nez avec Ambroise. Celui-ci lui adresse un bref sourire et continue son chemin. Avant qu’elle ait pu décider s’il fallait le suivre ou non, Jérémy l’a rejointe et attrapée par le bras. Il a l’air surexcité.

« Viens, le meeting va commencer. Quelque chose me dit que ça va être énorme !

— Pourquoi ça ?

— Ben, c’est un peu le feu d’artifice final, non ? D’habitude, on s’amuse, on se fait peur, on fait monter l’adrénaline… et on se dit « à la prochaine ». Aujourd’hui, ce n’est plus possible : il n’y aura pas de prochaine fois ! »

La serrant de plus en plus fort par le bras, Jérémy l’entraîne dans la foule qui s’épaissit. Il a l’air tendu comme un arc. Éloïse repère des visages connus, adresse des sourires, fait de vagues signes de la main… quand, tout à coup, Manue se dresse devant eux.

« Enfin, te voilà ! s’exclame-t-elle, face à Éloïse, ignorant superbement son compagnon. C’est pas trop tôt… Viens ! »

Écartelée entre ses deux amis, qui tentent chacun de l’entraîner dans une direction différente, Éloïse a un moment d’indécision. Puis…

« Stop ! s’écrie-t-elle. Arrêtez, tous les deux ! »

Jérémy et Manue la regardent, interloqués : d’habitude, Éloïse ne crie pas. Jamais. En tout cas, pas sur eux. Ils échangent un regard, comme pour se concerter (ce qui, en soit, est tout ce qu’il y a de plus improbable) et lui font face tous les deux.

« Tu ne vas pas rester là… »

Les deux ont parlé en même temps.

Une telle synchronisation dans leur façon de faire laisse Éloïse pantelante d’angoisse. La fin du monde n’est pas encore certaine, mais la fin d’un certain monde est en train d’avoir lieu sous ses yeux : Manue et Jérémy d’accord sur quelque chose, avant cette seconde, c’était tout simplement de la science-fiction.

De la science-fiction, comme la fin du monde.

 

Le regard d’Éloïse, incrédule, va et vient de l’un à l’autre. Pour le coup, les deux se sont tus. Ils la regardent et attendent.

La jeune fille secoue la tête et décide de prendre les choses en main.

« Moi, je vais à l’amphi B. Qui m’aime me suive. »

Ses deux amis démarrent en même temps qu’elle.

Dès l’entrée du bâtiment, une foule compacte leur barre la route. Éloïse hésite un peu, mais derrière elle, la voix de Manue, forte et claire, s’élève.

« Laissez passer les intervenants ! »

Lentement, comme sur l’autoroute, à l’heure des bouchons, quand un véhicule d’urgence fait vibrer sa sirène, un chemin s’ouvre devant eux. On dirait Moïse en train de couper la mer en deux, se dit la jeune fille.

Au fur et à mesure de leur progression, une sorte d’excitation s’empare d’elle. Ce n’est rien de dire qu’il y a de l’électricité dans l’air… On se croirait un jour d’orage, lorsqu’on sent que « ça va péter ». Simplement, on ne sait pas quand.

Des vagues d’hystérie sont en train de se former dans la foule. Jérémy a raison : ça va être énorme.

Si la Terre ne se désintègre pas dans l’heure, l’université, elle, risque bien d’être complètement détruite par une foule de jeunes survoltés. Surtout qu’on peut compter sur Manue pour les galvaniser…

 

L’amphi est encore plus plein que d’habitude. Pas bondé : surpeuplé. Les sièges n’ont même pas été baissés. Tout le monde est resté debout. On s’est serré comme dans le métro à l’heure de pointe. L’avantage, c’est qu’il n’y a aucun effort à faire pour tenir debout : on est maintenu en place par ses voisins. L’inconvénient, c’est qu’il est absolument impossible de sortir.

Les gens qui sont là sont des prisonniers volontaires.

Comme la première fois (il y a deux semaines tout juste, soit une éternité) Manue prend la parole. Sa voix est vibrante d’émotion.

« Mes amis… Mes chers amis ! Nous voilà au bout du chemin… Au commencement d’un autre ! Cette journée est celle des porteurs de messages. »

Éloïse sursaute à ces mots. Manue n’a pas dit « des messagers » ; elle a dit « des porteurs de messages ». Ce n’est sûrement pas anodin.

Vient-elle, comme Ambroise, de Primaterra ?

Non, ce n’est pas possible. Manue est là depuis toujours. Enfin… Au moins depuis l’année dernière. Alors que les émissaires de Primaterra, aux dires même d’Ambroise, ne sont arrivés que ce mois-ci.

« Avant, ça aurait été complètement inutile : les Terriens sont bien trop occupés à vivre dans l’instant, avec leurs smartphones toujours allumés, pour être réceptifs quand on leur parle de leur avenir. Même s’il s’agit du mois suivant ! »

À côté d’Éloïse, Jérémy ne perd pas une miette du spectacle. Un sourire éclatant sur les lèvres, il parcourt la foule des yeux, manifestement ravi d’être là.

« Tu sens, ça ? demande-t-il tout à coup à son amie, qu’il n’a pas lâchée.

— Non, s’étonne Éloïse. Quoi ?

— Cette énergie… Ces vibrations !

— Tu sais que tu commences à me faire peur ? »

Jérémy éclate de rire.

« Pourquoi ? Parce que je parle comme tout le monde ?

— Non. Parce que tu as l’air de croire à ce que tu dis.

— Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! lance-t-il avec un clin d’œil. »

Éloïse s’apprête à lui répondre, mais ce qu’elle voit alors la laisse muette de sidération.

À suivre

 

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