À l’abri (2)

Le début de cette histoire se trouve ici.

Derrière la porte

Plusieurs heures avaient déjà passé quand la voix du speaker de la radio nationale s’éleva à nouveau. Cette fois, le ton était grave.

— Mesdames et Messieurs, notre pays a subi une attaque sans précédent. Même s’il est encore difficile de les évaluer avec précision, les conséquences vont être désastreuses. Nous vous demandons donc de rester calmement dans les abris, le temps que toutes les précautions nécessaires à votre retour à l’air libre soient prises.

Le tatoué laissa échapper un juron et envoya promener l’un des fauteuils d’un coup de pied.

— Il fallait bien que ça finisse par arriver, dis-je d’un ton apaisant. Depuis le temps qu’on joue avec le feu…

Pour toute réponse, je reçus un regard noir. Une intuition me souffla alors que la cohabitation risquait d’être mouvementée.

 

Une semaine plus tard, chacun s’était pourtant installé sans problème dans cette nouvelle vie étrange. L’abri était équipé, comme tous les autres, pour nous permettre d’y séjourner un an sans souci. Outre la pièce d’accueil (par laquelle nous étions entrés et où étaient installés les haut-parleurs) il y avait trois chambres à deux lits (l’abri avait été conçu pour six personnes) disposant chacune d’une salle de bains, puis une cuisine, une chambre froide, un destructeur de déchets et une salle de gym.

Jimmy et Anna, les deux plus jeunes, s’étaient installés dans la même chambre, près de la cuisine. Ils avaient toujours faim, ces deux là ! Remarque, c’était de leur âge. Les nuits agitées aussi. Il m’arrivait souvent d’être réveillé par des coups de pied ou de coude dans la cloison qui me séparait d’eux. Je n’arrivais à me rendormir que lorsque les halètements s’étaient mués en longs soupirs d’aise.

Marco, le tatoué, avait choisi la chambre la plus proche de la porte. À croire qu’il était pressé de sortir ! De fait, il tournait littéralement en rond comme un lion en cage. Il n’avait pas dû être habitué à rester aussi inactif dans son ancienne vie. Alors il avait beau s’imposer un programme chargé d’exercices physiques, on sentait qu’il commençait à être sous pression.

Moi, j’avais écopé de la troisième chambre. Près des tourtereaux et de la salle de gym. Où je ne mettais jamais les pieds.

Chaque jour, la radio nationale nous donnait les dernières informations. La liste des villes détruites s’allongeait à chaque fois. Les taux de radiations annoncés dépassaient l’entendement. Le speaker n’en tirait jamais les conséquences, mais il était clair que le jour où nous pourrions sortir de ce trou n’était pas près d’arriver…

 

Marco était assis dans son fauteuil depuis des heures. Cela ne lui ressemblait pas. Mais alors pas du tout.

Penché en avant, les coudes posés sur les genoux, comme prêt à bondir, il fixait la porte. Elle était devenue son obsession. Notre obsession à tous. Chacun avait sa façon de le montrer, mais il était clair que cette porte avait pris une importance quasi surnaturelle dans nos vies.

Personnellement, j’aimais la regarder. Comme, avant, j’aimais regarder dehors tout en lisant : l’esprit ouvert, les yeux dans le vague. De temps en temps, je passais devant elle et je la caressais doucement. Furtivement. Son contact me rassurait : il me rappelait qu’il existait bel et bien un « dehors ». Par contre, je ne supportais pas de toucher, voire même d’effleurer sa poignée.

Jimmy, lui, ne la regardait jamais. Jamais. Lorsque par hasard, il se trouvait face à elle, c’était toujours les yeux baissés. La plupart du temps, il lui tournait le dos.

Marco lui jetait sans arrêt des regards furieux. Elle attisait manifestement chez lui une haine qu’il avait du mal à contrôler.

Quant à Anna, le plus souvent, elle donnait tout simplement l’impression de ne pas la voir. Ce qui ne l’empêchait pas, une fois en passant, d’appuyer sa tête sur le lourd panneau, comme à l’affût d’un indice de vie à l’extérieur.

— Putain, j’en peux plus ! Ça fait deux mois qu’on est coincés là-dedans !

À suivre

Cette histoire vous plaît ? Vous voulez l’emporter dans votre Kindle ? Téléchargez À l’abri sur Amazon. Le texte est au format Kindle et lisible sur n’importe quel ordinateur ou tablette, en téléchargeant l’application Kindle for PC (gratuite) sur Amazon.
Et laissez un commentaire pour dire ce que vous avez aimé 🙂