Les 15 derniers jours (14)

Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2012/12/les-15-derniers-jours-1/

Boire un café

Samedi 15 décembre. Huit jours ont passé depuis la Saint-Ambroise. Éloïse essaie de ne pas y penser… Le dernier meeting, à l’amphi A, l’a laissée comme désarticulée. En petits morceaux.

Avec l’unique envie de se terrer chez elle. Et d’éviter de réfléchir.

Comme après la mort de sa grand-mère, ses nuits sont peuplées d’insomnies au cours desquelles elle se sent tomber dans le vide. Sans espoir de jamais atteindre le sol.

Dès qu’elle se lève, elle se sent prise de vertige. D’ailleurs, elle n’a plus remis les pieds à la fac.

Elle n’a revu ni Jérémy ni Manue : elle ne veut pas risquer de les entendre parler d’un Ambroise, que ce soit Doré ou un autre.

Dormir… Disparaître. C’est tout ce qu’elle veut.

« La fin du monde, quoi ! » se dit-elle.

Pour la première fois depuis qu’elle est rentrée chez elle sur les conseils de Manue, Éloïse esquisse un sourire.

Et si elle allait rendre visite à Jérémy ?

 

Pour une fois, le jeune homme n’est pas scotché à son ordinateur. Appuyé contre la fenêtre, les mains enserrant une grande tasse de café, il a le regard perdu sur les façades de l’autre côté de la rue.

« Tu as l’air pensif, remarque Éloïse.

— Tu avais déjà remarqué comme toutes ces fenêtres se ressemblent ? rétorque son ami.

— Non. Mais en même temps, c’est logique : c’est un immeuble qu’il y a en face. Toutes les fenêtres ont été posées en même temps.

— Oui, mais d’habitude, il y a des petits trucs qui changent : des pots de fleurs, des rideaux, des volets fermés et d’autres ouverts… Là, il n’y a rien de tout ça ! Comme si c’était la même personne qui habitait partout.

— Une armée de clones, tu veux dire ? se moque Éloïse.

— Exactement. Une armée de clones… C’est exactement ce qu’on est. Il va être temps que ça change.

— Djé, tu me fais peur, là ! Qu’est-ce qui t’arrive ? »

Le jeune homme hausse les épaules et va s’asseoir. Sirotant son café à petites gorgées, il se rapproche imperceptiblement de son ordinateur. Ses yeux sont happés par l’écran ; ses doigts posent la tasse pour retrouver le chemin du clavier.

« Il faut que je te montre un truc » dit-il.

Éloïse soupire de soulagement : le vrai Jérémy est de retour !

 

La façon dont les doigts de son ami s’agitent sur le clavier a quelque chose de rassurant. Comme la voix d’un psychothérapeute, le cliquetis des touches apaise la jeune fille.

Elle sent sa respiration ralentir, son abdomen se gonfler doucement…

« Regarde, dit Jérémy, il y a une vidéo qui fait le buzz sur la toile. Elle a été mise en ligne par les Messagers du Nouveau Monde.

— Les MNM ? Ils n’ont pas tardé à faire parler d’eux : ils n’existent que depuis deux jours ! En même temps, s’ils veulent se faire connaître, il ne faut pas traîner : le 21, c’est dans six jours !

— Justement, c’est pour ça que cette vidéo fait le buzz. Regarde… »

Intriguée, Éloïse s’approche de l’écran.

Un petit groupe de messagers a été filmé dans l’amphi A. Parmi eux : Manue. Toujours aussi énergique et enthousiaste dans ses propos, la jeune fille a pourtant considérablement changé son discours.

L’idée d’un nouveau monde à construire a toujours été plus ou moins présente dans les meetings des messagers. Mais là, les choses ont l’air de s’être radicalisées. Les mots de « révolution » et de « lutte » sont prononcés à plusieurs reprises.

Le discours des messagers a indubitablement changé. Comme si les façons de faire extrêmes d’Apocalypse Now les avaient contaminés.

 

« Je commence à en avoir ma claque, de ce 21 décembre ! s’énerve Éloïse dès que la vidéo est terminée. Tout ça devient n’importe quoi…

— Au fait, intervient Jérémy, tu as revu Ambroise ?

— Non, se rembrunit la jeune fille. L’autre jour, à l’amphi A, je l’ai encore aperçu, mais pas moyen de l’approcher. Je n’ai même pas essayé, d’ailleurs : l’amphi était bondé ; il n’y avait pas plus moyen de bouger que dans une boîte de sardines ! »

Jérémy hoche la tête.

« On n’est pas tellement avancé.

— Non. Au point où on en est, je crois qu’il n’y a plus qu’une seule chose à faire : attendre et voir ce qui va se passer. De toute façon, on va y arriver, à vendredi prochain. »

Vendredi prochain…

D’avoir prononcé ces mots, Éloïse sent le rythme de son cœur s’affoler. Vendredi prochain, c’est là, maintenant, tout de suite !

Tant qu’il était question du 21 décembre, on pouvait s’imaginer que c’était loin. Quelque part dans le futur. Mais là, vendredi prochain, cela veut dire dans moins d’une semaine.

« Tu te rends compte ? C’est le dernier week-end avant…

— Avant qu’on puisse être sûr de quoi que ce soit », l’interrompt Jérémy.

Comme si lui aussi commençait à avoir du mal à prononcer ces mots de « fin du monde ». D’ailleurs, il change tout de suite de sujet.

À suivre

 

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2 réflexions au sujet de « Les 15 derniers jours (14) »

    1. Bonjour Patricia,

      Tu te souviens de cette vieille chanson de France Gall : « Résiste ! Prouve que tu existes ! »
      La fin de l’histoire arrivera, tôt ou tard 🙂

      Florence

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