A mots déliés




Récit de vie



Extrait 2

Note : cet extrait est reproduit avec l'autorisation de son auteur.

     Sitôt les Allemands partis, en 1944, alors que j'habitais encore le Gers, j'ai adhéré au Parti Communiste. Mon père, déjà, était à gauche. Même s'il n'adhérait à aucun parti, il avait des convictions et il m'a élevé pour les respecter. À la maison, la porte était toujours ouverte pour les gens de passage. Quand quelqu'un se présentait à l'heure du repas, il se mettait à table avec nous. S'il voulait dormir, on lui donnait une couverture, de la paille, et il allait se faire son lit dans la grange. Le matin, il prenait le petit déjeuner comme nous tous. Nous partagions ce que nous avions. Mais ce n'était pas le cas partout ! Il y avait des voisins chez qui ce n'était pas la peine de demander. Ceux qui passaient régulièrement dans la région le savaient, d'ailleurs : ils venaient directement chez nous.
     Après, il y a eu la guerre d'Espagne. J'étais tout jeune, mais je la suivais du mieux que je pouvais. Qu'une jeune république soit attaquée de cette façon, cela m'a révolté... Guernica détruite par l'aviation allemande en 1937, l'envoi par l'Italie fasciste de quatre divisions de chemises noires, etc. Et puis, surtout, la lâcheté des démocraties, qui avaient laissé faire.
     Ensuite, la politique d'Hitler, que je n'ai jamais pu admettre. Et puis les injustices. La pauvreté de certains ; la richesse des autres... Tout cela m'a amené, petit à petit, à penser que le communisme était une voie de salut, qui devait mener au bien-être de tous.
     Quand je suis arrivé à M., il n'y avait pas de cellule du parti. Alors j'ai proposé à Clément, un voisin dont je connaissais plus ou moins les opinions, d'en créer une. Il devait avoir au moins trente ans de plus que moi. En tout cas, il a tout de suite été d'accord. À partir de là, nous avons contacté des connaissances, des gens qui semblaient pouvoir être intéressés.
     La cellule a été créée en 1945 et j'en suis devenu le secrétaire. Cela marchait bien : en l'espace de quelques années, nous avons été treize ou quatorze bonshommes.
     Eh oui : que des hommes. À l'époque, les femmes étaient un peu... Quantité négligeable ! Plus ou moins considérées comme des individus de seconde catégorie. Ce que je n'ai jamais compris, d'ailleurs. Pourquoi une femme serait-elle inférieure à un homme ? Physiquement, peut-être. Mais à part cela ? Il me semble au contraire que dans l'ensemble, elles ont plus de bon sens. Maintenant, peut-être que c'est parce qu'elles ont moins de pouvoir ? Qui sait ? Si elles étaient aux commandes, peut-être que ce serait différent. C'est difficile à savoir.
     Cela dit, aujourd'hui, les choses n'ont guère changé, quand on y pense. Les femmes sont toujours mises de côté, reçoivent toujours des salaires moins élevés. Moi, ma femme avait le certificat d'études (ce qui n'était pas si courant à l'époque) alors que je ne l'avais pas et cela ne m'a jamais dérangé. Elle aurait tout aussi bien pu avoir un travail et un salaire plus élevé que le mien, cela ne m'aurait pas chiffonné non plus. Il n'y a pas de raison.
     Cette discrimination qu'il y a actuellement, et qui a toujours existé, n'a aucune raison d'être.

     En tout cas, il n'y avait pas de femmes à la cellule du Parti Communiste de M. Par contre, il y a eu un groupe (Femmes françaises ou Femmes de France, je ne me souviens plus exactement) suite à une réunion organisée par l'Association des femmes communistes. Mais cela n'a pas tenu. C'était indépendant du parti, mais les idées en étaient proches.
     La cellule du parti a périclité elle aussi. Certains sont partis, d'autres sont décédés. Petit à petit, tout s'est délité... Il y a eu la désertification des campagnes. Le déclin du parti tout entier... La cellule a suivi le mouvement général. Quand il n'y a plus eu que quatre ou cinq adhérents, la cellule de M. a été rattachée à la section de B. Aujourd'hui, je crois bien qu'il n'y a plus personne.
     Moi qui rêvais (avec tant d'autres !) de voir la fin du capitalisme sauvage, cela aura été la grande déception de ma vie. J'avais fondé tous mes espoirs sur le Parti Communiste. Alors de voir qu'au contraire il est de plus en plus fort, ce capitalisme... Quand j'y repense... L'implosion de l'URSS, la fin des régimes communistes... C'était une chose impensable ! Et pourtant, c'est arrivé. Et cela a signifié l'arrêt de l'émancipation du monde ouvrier, en quelque sorte.
     Je n'ai pas été déçu par le Parti Communiste lui-même. Quoique. Peut-être un peu quand même... Il aurait sans doute pu faire autre chose, mais c'est difficile à dire. En tout cas, une chose est sûre : aucun parti, quel qu'il soit, ne devrait jamais avoir le pouvoir absolu. Cela mène forcément à des excès. Les hommes... Ce sont des hommes ! Et le pouvoir, cela monte à la tête. Les dictatures communistes nous l'ont montré.
     Mais quels qu'aient pu être ses excès, au moins le communisme servait-il de contrepouvoir au capitalisme. En cela, il avait toute son utilité. On le voit bien, aujourd'hui qu'il n'est plus là : si le capitalisme est si virulent, c'est parce qu'il n'a personne en face.
     Nous avions bien eu un espoir, en 1981, avec l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République Française. Espoir vite déçu. Mais je crois que c'est le lot de la classe ouvrière, d'être toujours déçue.


Florence Clerfeuille - À mots déliés - 06 99 51 46 71 - contact@amotsdelies.com
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