Habiba (6)

Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2013/08/habiba-1

Plaisir de lire

Penchée sur les cahiers de ses élèves, elle ne voit ni n’entend la toute jeune fille qui s’approche timidement.

« Mademoiselle Nour ? »

La voix est hésitante, mais le regard qui la fixe est plein de détermination.

« C’est moi, répond Nour en souriant. Que veux-tu ?

— On m’a dit qu’il y avait des cours, le soir, pour les femmes mariées ou veuves.

— C’est exact. Ta mère veut venir ?

— Ma mère ? s’étonne Habiba. Non, c’est moi.

— Toi ? s’étonne à son tour l’institutrice. Mais quel âge as-tu ?

— J’aurai quinze ans le mois prochain. »

Quinze ans et déjà mariée. Avec une vie de servitude devant elle ! Nour se retient d’exprimer sa colère. Après tout, cela pourrait être pire : son mari pourrait refuser qu’elle vienne… D’ailleurs, n’est-ce pas le cas ?

« Ton mari est d’accord pour que tu viennes étudier ? demande Nour.

— Il est mort.

— Mort ? Tu veux dire que tu es déjà veuve ?

— Oui, Mademoiselle. J’étais mariée à Sidi Fayad, ajoute doucement Habiba. »

La femme de Sidi Fayad ! La seule qu’elle n’ait jamais réussi à rencontrer… Nour comprend mieux pourquoi en regardant la jeune fille : elle a envie de venir, c’est évident. Ses yeux se sont mis à briller dès qu’elle a vu la bibliothèque.

« Tu sais lire ? » demande l’institutrice.

Le cœur de Habiba se met à battre plus fort. Elle n’arrive même pas à répondre. Tout juste hoche-t-elle frénétiquement la tête.

La jeune institutrice sourit.

« Prends un livre, si tu veux. »

Le sourire qui fleurit à ces mots sur les lèvres de sa nouvelle élève resplendit comme le soleil.

 

De retour dans sa minuscule maison, Habiba se précipite auprès de Fatima. Elle brandit le livre que Nour lui a prêté.

« Fatima ! Fatima ! Je vais retourner à l’école ! L’institutrice m’a même déjà prêté un livre. Regarde ! Je te le lirai quand tu me coifferas, si tu veux. Qu’est-ce que tu en penses ? Ça te plairait ? »

La vieille femme sourit sans répondre. C’est la première fois qu’elle voit la jeune fille aussi enthousiaste et pleine de vie.

C’est comme cela que les choses doivent être. Une jeune fille de l’âge de Habiba doit pouvoir étudier. Elle n’a rien à faire dans le lit d’un vieil homme.

Fatima est sûre qu’Allah lui pardonnera d’avoir ajouté cette poudre blanche dans le thé de Sidi Fayad : s’il avait vécu (et, pire, s’il avait fait un enfant à Habiba) jamais la jeune fille n’aurait pu assister aux cours de Nour. Jamais un tel sourire n’aurait resplendi sur son visage.

Cela n’aurait pas été juste. Il fallait que quelqu’un ouvre sa cage.

Comme elle-même avait ouvert la sienne, bien des années plus tôt. Certes, elle n’a jamais pu apprendre à lire, mais domestique, elle était bien plus libre qu’épouse.

 

Dans la petite maison, Habiba l’a déjà oubliée : elle a commencé à lire.

FIN

Habiba est l’une des neuf nouvelles qui composent le recueil Circa mortem.
Elle vous a plu ? Achetez le livre sur Kindle et dites aux autres ce que vous en avez pensé 🙂

P.-S. : Circa mortem existe aussi en papier. Achetez-le sur mon site d’auteur.

2 réflexions au sujet de « Habiba (6) »

    1. Bonjour Jean-Philippe,

      Merci à toi pour tes commentaires. C’est vrai, j’aime bien écrire sur les femmes 🙂
      Quant à voir mes histoires lues dans le monde entier, tu te doutes bien que ce serait avec grand plaisir 😉

      Florence

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