Habiba (5)

Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2013/08/habiba-1

Cour de maison au Maroc

« Que se passe-t-il ? demande-t-elle.

— Je ne sais pas, lui répond l’une de ses élèves du soir. C’est Sidi Fayad. »

Un murmure se répand soudain sur la foule. Des cris de femmes s’élèvent. Les hommes se figent.

« Sidi Fayad est mort ! » hurle une vieille.

 

Dans la maison de la medina, c’est l’effervescence des grands jours. Fatima se retrouve à la tête d’une véritable armée de femmes, chargée de préparer le repas des funérailles. Sidi Fayad était un membre important de la communauté, tout le monde doit l’accompagner dans son dernier voyage.

Au milieu de toute cette agitation, Habiba surnage comme elle peut. Dès l’annonce du décès de son mari, la maison a été envahie. Par la famille. Par la vieille Amina, qui organise aussi bien les funérailles que les mariages. Par les pleureuses. Par les requins de toutes sortes.

Heureusement, au milieu de tous ces bouleversements, elle peut compter sur quelqu’un. Quelqu’un qui la connaît bien, qui lui sert de repère et qui n’a pas l’intention de la laisser tomber : Fatima.

Dans le dos de la jeune fille, les tractations ont déjà commencé. Fatima le sait bien : c’est ainsi que les choses se passent. Quand la mort s’abat sur une maison, les vautours ne tardent pas à arriver.

Sidi Fayad n’avait pas de famille proche ; ce sont donc des cousins qui vont hériter de ses biens. Magnanimes, ils ont décidé de laisser à Habiba une petite maison d’un quartier excentré. Elle ne vaut pas grand-chose (elle est mal placée) mais Habiba pourra s’y installer avec Fatima… ce qui permet de faire preuve de générosité à moindre frais !

 

« Regarde, voilà ta nouvelle maison ! »

Amina, la vieille marieuse, a tenu à être présente lors de l’emménagement de Habiba. Personne, de toute sa vie, ne lui a rapporté autant d’argent que Sidi Fayad ; cela mérite bien un peu d’égards envers sa veuve.

Fatima a déjà tout préparé. La maison est petite, mais chacune des femmes y a une minuscule chambre. Une dernière pièce sert de cuisine. Et devant, une courette fermée de hauts murs leur permettra de rester à l’abri des regards.

Habiba ne dit rien. Tout est allé tellement vite…

« Viens, je vais te coiffer », lui dit Fatima.

Reconnaissante, la jeune fille s’assied et offre sa chevelure à la vieille femme. Mais que va-t-elle lui raconter, maintenant que Sidi Fayad n’est plus ?

« Il y a une institutrice, commence Fatima.

— Celle qui était venue voir Sidi ? l’interrompt la jeune fille.

— Oui. »

Habiba s’en souvient comme si c’était hier. Bien sûr, elle ne s’était pas montrée : la visiteuse avait demandé à voir son mari, pas elle. Mais elle l’avait observée depuis sa chambre. Elle avait vu comme elle se tenait droite. Comme elle était entrée, sans hésiter ni baisser la tête, dans la pièce où se trouvait Sidi Fayad…

« Habiba, tu m’écoutes ?

— Excuse-moi, sourit la jeune fille, j’ai peur de ne pas avoir entendu ce que tu disais.

— Cette institutrice, elle s’appelle Nour. Et elle donne des cours aux femmes mariées, le soir.

— Je ne suis plus mariée, objecte Habiba.

— Aux veuves aussi, si elles le veulent.

— Comment sais-tu cela ? Tu y vas ?

— Je suis bien trop vieille ! rit Fatima de toute sa bouche édentée. Mais toi, tu es jeune. Il faut que tu y ailles. »

 

Les enfants viennent de quitter l’école. Nour se prépare pour sa deuxième journée : ce soir, les femmes viennent étudier.

À suivre…

Habiba est l’une des neuf nouvelles qui composent le recueil Circa mortem.
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