André (1)

Couvercle

C’est une petite boîte en carton de rien du tout, décorée d’une scène de village enneigé. Une boîte qui devait contenir à l’origine un paquet de cartes postales illustrées comme celles que l’on utilisait pour adresser ses vœux de bonne année et de bonne santé.

Sur le dessin, un couple de passants indique que cette boîte a traversé la plus grande partie du xxe siècle : l’homme, en redingote, est coiffé d’un chapeau haut-de-forme ; la femme, en robe longue, châle sur les épaules, d’une capeline.

C’est une petite boîte en carton de rien du tout, mais elle contient tout ce qui reste à Solange de son frère André.

 ******

 « Je t’accompagne à la gare !

— Arrête, voyons, c’est ridicule.

— Qu’est-ce qu’il y a de ridicule au fait que j’aie envie d’accompagner mon grand frère préféré au train ? »

Malgré lui, André sourit. Sa sœur a toujours su le prendre. Et puis, c’est vrai que c’est un événement, ce départ, même s’il ne va pas très loin. Pour l’instant, du moins.

« Bon, d’accord. Viens, si tu veux… »

Solange sourit à son tour, prise d’une bouffée de tendresse. Elle aimerait tant pouvoir se jeter au cou de son frère et le serrer dans ses bras pour lui montrer à quel point elle l’aime… Mais elle sait que cela le mettrait mal à l’aise. Dans leur famille, on ne fait pas ce genre de chose. On ne montre pas ses sentiments.

Personne d’autre au village ne le fait, d’ailleurs. C’est comme ça.

 

André a préparé quelques affaires, qu’il a serrées dans une petite valise en carton : difficile de trouver mieux comme bagage en cette année 1945. De toute façon, il n’a pas besoin de grand-chose : à son arrivée au camp de Fay-Segry, il sera pris en charge par l’armée et équipé de pied en cap.

Les parents sont à la cuisine. Ils attendent son départ pour se remettre aux travaux des champs. Le père est assis en bout de table, sa chatte préférée sur les genoux. Elle est toute blanche, le poil long (une rareté dans cette campagne) et on l’appelle La Parisienne.

Ils ne sont pas très contents, les parents, de voir André partir. D’ailleurs, ils l’en ont empêché tant qu’ils ont pu. Mais quand il a eu vingt ans, plus question de décider pour lui : il n’avait plus besoin de leur autorisation pour s’engager dans l’armée.

C’est qu’il va manquer, le fils, à la ferme…

Il y a bien Solange, mais elle est plus jeune, moins solide… Sans compter qu’à dix-sept ans, elle ne va sûrement pas tarder à fréquenter. Quand elle sera mariée, il n’y aura plus personne pour les aider.

Et puis, le père a fait la Grande Guerre. La première. La der des der, comme on disait à l’époque… Il a tout connu : les tranchées, Verdun, le Chemin des Dames… Comment a-t-il fait pour revenir vivant de cet enfer ? Il n’en sait rien, mais la question le taraude parfois. Il se dit surtout qu’il a eu une sacré veine… et que rien ne dit que son fils aura la même. Alors, tant qu’il a pu le tenir éloigné des combats, il l’a fait. Quitte à passer pour un vieil égoïste.

 

André entre dans la cuisine, suivi de sa sœur. L’heure du départ a sonné ; il faut se dire au revoir.

Le père dépose délicatement La Parisienne par terre avant de se lever. Les deux hommes se font face un instant en silence, puis le père hoche la tête, pose sa main gauche sur l’épaule de son fils et lui tend sa main droite.

« Obéis aux ordres, fils. Respecte ton capitaine… et ceux d’en face.

— Au revoir », répond juste André en hochant la tête à son tour.

La mère n’est pas plus loquace. Le temps de faire claquer les quatre bises réglementaires dans ce coin du Berry et elle retourne à son linge à repasser.

« Pense à écrire », dit-elle, le dos déjà tourné.

À suivre

2 réflexions au sujet de « André (1) »

  1. Merci Florence pour cette belle histoire !

    Même si je ne connais pas (encore) la fin, je sens bien que l’histoire va être dramatique et touchante. Bien que j’ai des réticences à lire la suite, je ne peux pas m’en empêcher, entrainé par la façon dont tu nous rends les personnages si sympathiques et si proches…
    Jean-Philippe Touzeau Articles récents..La parabole du jointMy Profile

    1. Bonjour Jean-Philippe,

      Dramatique, je ne sais pas si c’est le mot adéquat. Tu jugeras par toi-même.
      Par contre, c’est vrai que le suspense n’est ps vraiment là… Pas de cliffhänger surdimensionné, cette fois 🙂

      Florence

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